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LE BLOG DE LA GALERIE

MÉMOIRES CENT CIBLES

par Yannick Meric


“Le monde est beau” écrivait Walter Benjamin, incontournable penseur des procédés de reproduction des œuvres d’art dans son essai : "Petite histoire de la photographie”.


Il prenait pour référence, nous indique la note en bas de page, la plaquette des 22 pages publiées en 1928 par le photographe Albert Renger-Patzsch et l’éditeur Carl Georg Heise : Le monde est beau : cent photographies.


Dans l’exposition proposée par La Galerie 09 au Lycée Gabriel Fauré à Foix, ce ne sont pas cent, mais pas moins de 63 photographies qui sont données à voir au public.

Des photographies historiques, mais aussi des photographies d’histoires, au pluriel.

Celles des passants, prises pour objet par l’obturateur, et celles des artistes placés derrière l’objectif.


Des démarches singulières, qui formellement se répondent et se distinguent, qui se décrivent via des légendes. Faisant ainsi émerger de l’à peu près, du domaine périlleux de la photographie comme art, ces différentes pratiques réunies autour d’une même volonté : inscrire les formes de la vie sur des supports capables de questionner le rapport de l’être humain à son environnement.



À l'heure où nos appareils photographiques deviennent de plus en plus petits et communs, les images elles-mêmes se voient encryptées à des dimensions dont bon nombre d’entre nous sont incapables de se représenter les procédés de confidentialité, de transmission ou stockage. De cette mise en abyme aux contradictions qu’elles suscitent, demeurent des techniques dont l’intemporalité n’a rien à envier à la contemporanéité de ces nouveautés miniatures. Car si l’un des enjeux principaux de la photographie consistait à diminuer le caractère unique, sacré, des œuvres par le biais de leur reprographie, on observe aujourd’hui le processus inverse de revalorisation de l’aura, par l’apparition des NFT (Non-Fungible Token).


Les retouches de Mayeul Toulemonde sur la série de photos réalisée en collaboration avec Raphaël Pigeat, nous rappellent à quel point les moyens digitaux offrent, plus que jamais, la possibilité de créer des images. Au même titre que la retouche sur négatif offrait au peintre l’occasion de prendre sa revanche sur le médium photographique, à l’époque où celui-ci damait le pion aux portraitistes de chevalets, dont nombre d’entre eux investirent le domaine de la peinture en extérieurs devant l’avènement de la machine capable de fixer les images de la “caméra obscura”. On pense bien évidemment aux impressionnistes, qui semblaient avoir pressenti l’essor de l’image photosensible quelques décennies auparavant, en faisant de la peinture un outil mis au service de la perception chromatique et des phénomènes optiques.



Il en résulte un travail remarquable de questionnement des friches et des espaces périphériques où s’entremêlent les langues d’asphalte aux herbes folles, fer de lance de la nature qui persiste à réclamer son droit sur l’activité humaine.


Des herbes folles, il en est question chez Berta Ibáñez, qui y consacre toute une série de cyanotypes, procédé qu’elle découvre, explore et maîtrise depuis 2019. Passionnée par la sobriété technique de ce procédé, qui de surcroît, à le mérite d’occasionner un minimum d’impacts nuisibles sur l’environnement. Il en résulte une façon d’habiter le monde éthique et, selon les mots de l’artiste, de “se voir habitée par le monde” d’une façon surprenante. Chaque photogramme est unique et non reproductible, à l’instar des premières photographies dont le principe chimique visait à obtenir une brûlure du réel, inscrite dans la matérialité du support grâce au temps de pause, autrefois conséquent.


Saisissante est la série des mains que nous lui avons demandé de déployer dans l’exposition, où chaque creux des épidermes ainsi captés offrent un théâtre de contraste et de lumières, rappelant ainsi l’inventivité des premiers photographes œuvrant au perfectionnement du médium à ses débuts. Ces phalanges gantées de bleu donnent également corps et équilibre au thème de l'événement qui présente beaucoup de vues architecturales, urbaines où la présence humaine n’est que suggérée, rayonnant par son absence.



Une absence omniprésente que questionne Céline Lachaud par ses photographies fragmentaires et picturales. Minimales ou archéologiques, on y saisit par des cadrages singuliers, des motifs symboliques de ce que tend à devenir la notion de ville et ses agencements, en lien étroit avec des enjeux tels que la circulation des corps, des objets, des véhicules ou encore du regard.

Ce transport des énergies, comme des ressources, d’un coin à l’autre d’une agglomération sont autant d’indices que de jalons sur un parcours ponctué de questionnements et d’étonnements. Du banal au commun, du commun à la surprise de retrouver un élément, qui par synecdoque rappelle le caractère tentaculaire du tissu urbain, créant ainsi une éloquente radiographie de ses mues successives.



Elle consacre en parallèle de sa pratique de la photographie, une partie de son temps à la constitution d’un fond d’éditions éclectique intitulé Multivers, qui regroupe un certain nombre d’artistes, ayant pour point commun d'œuvrer dans le champ de l’image imprimée.


Ainsi que le disait Benjamin en 1931, toujours dans le même ouvrage : “oui, vraiment, le jour semble arriver où il existera plus de journaux illustrés que de marchands de gibiers et de volailles. Sans parler des “clics” photographiques.”

On peut sans nul doute avancer que l’histoire lui aura donné raison, au regard du poids occasionné par la prolifération des images sur notre présent, tant iconologique qu'

iconophage. Images présentes en masses sur tout support connecté à notre vie quotidienne.



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